28 mai 2009

La délusion de soi, partie 1

Tu me pardonneras lecteur de ne réserver que si peu de place aux universaux qui pourraient te concerner. Je doute en cet instant que te t’affubler de telle ou telle caractéristique – intérêt particulier ou autre a priori – rendrait vraiment justice à cette idée dont je veux t’entretenir. Il s’agit en vérité de la notion de délusion. Cette idée me semble fort à propos pour en venir à éclaircir ces idées que je ressasse sans cesse et auquel je ne peux plus accorder de crédibilité.

De quoi s’agit-il ?

* * *

Alors que mes doigts pressent ces touches du clavier, tu n’existes pas. Et pourtant je t’adresse la parole. Je te fabrique dans ma tête. Je t’imagine – plus ou moins – lisant ceci, jugeant du bien-fondé de cela, critiquant cet argument ci tout en te questionnant face au sens de celui-là. Toi que je ne connais pas encore, d’où me viennent ces idées à ton sujet ? Supposant même que je tire de mes amitiés et relations un matériel de souvenirs de quoi induire des idées plus générales à ton sujet, comment inférerais-je que cela correspond à qui tu es ? Il peut sembler futile de se demander cela. Je crois qu’au contraire, c’est de la plus haute importance. Je viens tout juste de présumer que tu douterais de mes idées, que tu les trouverais curieuses. J’argumente et je tente de te convaincre que mes pensées s’accordent avec la réalité. Or je ne fais que t’imaginer, et toute ma stratégie argumentative et tout mon choix de mots découlent naturellement de ce que je pense qu’il faut que je te dise. Je présume beaucoup.

Toi aussi lecteur, laisses-moi le croire, tu interprètes à ta guise ce que j’écris. Tu infères que je veux dire ceci pour dire cela. Tu ressens mes mots et d’une certaine façon cela correspond ou non avec des idées que tu entretiens. Mes mots tu en fais ce que ton cerveau veut bien en faire. Seul refuge : tu n’as pas le choix des symboles et de leur alignement sur le papier, sur l’écran. Cet alignement est nécessaire, impitoyable. Les symboles sont objectifs, mais ils sont muets, c’est-à-dire absolument incapables de dire quoi que ce soit.

Tu l’auras compris, entre toi et moi, ne se transige que la matière la plus inerte, et ce que je tente de construire en t’imaginant comme lecteur tu le reconstruis en m’imaginant comme auteur. Autrement c’est que tu m’as déjà rencontré, tout comme je pourrais t’avoir connu au préalable. Or tu pourrais être une autre personne. Je ne peux pas te choisir à tout coup, et même une lettre peut être lue par quelqu’un d’autre que son destinataire. Mais même si tu me connaissais à merveille, ce que je pourrais te concéder, tu lirais plus dans mes mots que ce qu’il y a d’écrit. Tu partirais alors non seulement de tes propres idées provenant du texte écrit, mais tu viendrais y ajouter tes idées à mon sujet. Liras-tu vraiment ce que j’ai écris, ou ne chercheras-tu qu’à associer tel phrase avec tel trait que tu aurais repéré chez moi ? Comment en serais-tu certain ? Je te laisse juger si vraiment tu me lis, ou si tu te sers du texte pour y afficher tes propres idées. Me les attribuer par la suite devrait du moins te sembler un peu plus suspect. Je te recommande la voie du milieu : j’ai légué des symboles qui évoquent des images et des sensations chez toi, je ne savais pas que tu allais les interpréter de cette façon, mais j’ai cru pouvoir te les faire apparaître ainsi. En t’écrivant, j’ai essayé de nous rapprocher. De te faire adopter un peu de moi en disposant les circonstances par le truchement du Cheval de Troie de mes symboles. À quel point suis-je vraiment présent dans ces lignes ? Tu y projettes ton doute et me l’attribue en cet instant. Je présume en cet instant que ce doute est ce qui te tenaille si tu m’as compris. La preuve tangible légitimant ce doute n’est pas quelque chose que tu pourras facilement isoler, tu te diras alors que les gens se comprennent, que l’incompréhension peut être évitée en étant clair, que j’exagère. Ne sois pas si prompt à repousser pareille constatation : pour que cette distance séparant auteur et lecteur soit significative, je n’ai pas besoin pour preuve d’une tour de Babel. La pratique nous informe que les gens se comprennent autrement que par les mots, que leurs intentions sont inférées approximativement, que la concertation parvient – avec de l’effort – à fonctionner. Je ne dis pas que jamais nous nous comprenons. L’habitude et l’expérience du social nous rassurent quant à nos capacités. Je dis seulement que nous sommes inconscients, ou que nous oublions rapidement, la pleine mesure de l’apport d’imagination qui est derrière notre communication. Cela n’a peut-être pas d’impact direct dans la vie quotidienne, pour prendre rendez-vous, faire une liste d’épicerie ou obtenir un formulaire. Mais quand l’esprit de chacun s’égare des considérations les plus tangibles, et que le retour aux choses physiques devient périlleux ou impossible, l’on entre dans un type de discours où la polysémie inhérente aux mots s’érige comme obstacle à la nuance dont les mots devraient se faire les loyaux porteurs. Les vérités du monde ne sont pas toutes bivalentes (exprimées en vrai ou faux). Dans le monde des normes, des opinions politiques et des choix moraux, c’est le poids et l’équilibre des valeurs qui prime sur la radicalité des constituants factuels. En quelque sorte, penser que les méthodes de la science suffisent à s’accorder moralement est dangereux. Et la méthode scientifique ne peut pas être employée à tout moment, elle est inutilisable au quotidien, dans cette instance de la vie humaine où la plupart des croyances se constituent. Il est donc fort pertinent que tu t’interroges sur la façon dont tu lis, sur la façon dont tu crois comprendre. Il est également pertinent que je me questionne, car j’argumente dans le vide si je m’égare à ton sujet, si je ne t’ai pas compris.

* * *

Quand mes doigts se posent sur le clavier je cherche des mots. Je suis plutôt habile à obtenir nombre d’entre eux de façon assez spontanée. Je les écris. J’assemble des phrases qui de façon analogue aux morceaux de bois du menuisier tentent, dans les limites de leur forme, de compléter et de s’accorder avec l’idée du meuble. Jusqu’où vais-je ? Jusqu’où le sais-je ? Je regarde en avant, mais en m’attardant sur chaque mot, je perd de vue la forme finale, l’idée du meuble devient floue, elle se fait oublier. Je rédige mes phrases pour qu’elles s’accordent avec ma nouvelle intention. J’avance, je rédige. Quand je regarde en arrière, j’attribue une direction à l’ensemble. Je regarde les plans. Présentement, je me demande où je m’en vais avec tout cela. Je me relis, je cherche à savoir si vraiment je suis si chaotique quand j’avance des phrases, si mes élucubrations sont soumises au hasard. Je veux savoir s’il y a des fois où j’écris de façon très orientée, si des fois je suis une ligne très précise. C’est quand l’idée de ma question de départ me revient à l’esprit que je me reprends et que je raccommode le tricot. Or le meuble est plutôt explicite, tout le contraire de l’alignement des mots. On peut avoir une vue d’ensemble d’un meuble, mais c’est difficile de regarder un texte à vol d’oiseau. Alors, je continue dans la direction que m’a indiquée une réinterprétation de mes propres mots. Comment pourriez-vous, si vous me lisez de bonne foi, savoir si vraiment ce que j’écris est aligné dans le sens de mon propos initial ? Savez-vous ce que veulent dire les mots « délusion de soi » ?

* * *

Qu’est-ce que la réalité ? Une bande d’amis discutent de façon enflammée autour d’une bière, ils parlent de politique. L’un d’entre eux est saoul et énonce des mots contenant, l’on suppose, des « idées ». On lui accorde une crédibilité limitée. Ses idées politiques sont confuses, de toute évidence : il bafouille et semble se contredire.

On parle avec une amie d’enfance. La rencontre se déroule bien ; un léger sentiment d’élévation auréole l’interaction et on retient la discussion. Ces idées-là marquent durablement. Oserait-on attaquer ce moment tendre avec une rude critique ? Quel excès de rigueur…

Est-on vraiment intéressé par la vérité ?


09 avril 2009

Épistémologie de la rétroaction sociale

À quoi peut bien servir un questionnement au sujet de la socialisation ? Je veux dire par là : pourquoi ne pas simplement continuer à agir de la même façon ? Les questionnements reviennent le plus souvent à une stérile mise en doute de soi et à la retenue, et c’est au contraire dans l’action que se construit l’estime de soi qui alimente à son tour la socialisation, et non dans la passivité.

Mon argument premier, afin de satisfaire les pragmatiques, vient en examinant l’impact des problèmes de socialisation sur les relations professionnelles et scolaires. D’abord, parler avec quelqu'un pour le convaincre de nous aider dans un projet est une activité sociale qui demande une bonne dose de prudence et de charisme personnel. Toute présentation de projet nécessite que l'on gagne l’appui de contributeurs et que l'on argumente nos souhaits devant eux, et c'est alors que la question du paraître – qui est aussi celle du social – me semble être, a posteriori, comme la condition nécessaire de tout partenariat. Or une attitude qui, par maladresse et manque de stratégie, ne réussit pas à canaliser correctement le message, devient une attitude porteuse de peu de bien et de beaucoup de maux. Cette canalisation est argumentative et émotionnelle tout à la fois. Peu importe que le contenu brut y soit : s’il manque de raffinement sur ces deux plans, en bout de ligne le projet échouera. Il faut savoir rassembler et convaincre les bons acteurs. Ce qui importe c’est qu’il y a un mal réel et tangible à rater sa chance à bien converser. Rien de relatif là dedans. Une socialisation manquée peut faire planter des projets tout à fait pertinents, mais qui, en manquant de tact, sont perçus comme insuffisants ou à l’avance auréolés d’échec.

À tors ou à raison d’ailleurs, pour qu’un contenu brut (par ex. un message qu’on cherche à faire passer) soit légitimement critiqué, il doit être accueilli avec ouverture. Les gens filtrent naturellement les mauvaises idées et les projets mal structurés en jugeant d’elles selon la qualité de l’approche conversationnelle. C’est un premier niveau de filtre, un pur critère de non-désagrément qui s’impose en condition de possibilité pour toute étape ultérieure. Mais sans être invalide, ce n’est pas un critère entièrement valide : le porteur d’un projet n’est pas la garantie de sa qualité, mais parle beaucoup sur ses chances de succès. Ainsi, en pondérant leurs jugements sur des critères liés au charisme, les gens ont le bon réflexe de miser sur le critère le plus en lien avec la réussite. Mon propre argumentaire cherche, qui plus est, à renforcer ce constat de l’impact du social. Par contre, j’affirme que ce n’est pas nécessairement le plus judicieux critère pour calculer la valeur de l’objet présenté, c’est-à-dire que ce jugement de la valeur du messager ne suffit pas à tirer un verdict sur le message.

Tout ce qui suit est fort problématique, même sans invoquer de question éthique reliées à la bonne foi et à l'honnêté. Imaginez avec !

En fait, la rétroaction effectuée par l’interlocuteur lors d’un dialogue sera sans réelle valeur épistémologique si elle n’est pas reliée à une situation de socialisation réussie. L’inverse n’est pas plus confortant : rien ne garanti qu’une socialisation réussie permette d’avoir un regard net qui amènera la lucidité recherchée, c’est à dire « la vérité ». La socialisation lors du dialogue dans des relations de partenariat fournit le caractère « convainquant » qui est ici convoité à des fins pratiques, mais il faut d’autres moyens conversationnels pour apporter une réfutation des thèses qui survivent au filtre de la socialisation. Et ces moyens, pour porter fruit à travers la conversation, doivent nécessairement traiter avec l’aspect social conditionnant le tout.

Ainsi, au niveau pratique, une socialisation manquée peut causer de façon assez déterminante l’échec d’une étape dans un projet. C’est presque évident. Mais en plus, une socialisation manquée vient brouiller les eaux et empêche qu’on sache la raison exacte de l’échec, c’est-à-dire : l’idée était-elle bonne ou mauvaise ? L’échec provient-il d’un mauvais concept de base ou d’une socialisation qui a raté sa cible ? Les réponses à ces questions ne sont que rarement entièrement oui ou non, et l’ambigüité dans les réponses entraîne un flou au niveau de la qualité de la connaissance que l’on peut tirer de l’expérience.

C’est dans ce dilemme que je suis pris : si je socialise mal, quelle valeur donner à ma pensée ? Je peux me retrouver à croire qu’elle est impertinente parce qu’elle passe mal le test en contexte social. À l’inverse, une analyse faussement critique, et donc totalement galvaudée, pourrait me mener à croire que je tiens un filon intellectuel fructueux et que je suis en mesure de connaître des choses vraies et inédites que personne ne comprend justement parce qu’elles sont tellement contre-intuitives. Sans blague, il m’arrive de penser comme ça. Je suis sur mes gardes, n’ayez crainte. Ce qui arrive le plus souvent c’est que, ne sachant trop si je dois faire confiance à la rétroaction de mes interventions sociales, j’évite de valoriser le résultat de la conversation ; c’est-à-dire que je pourrais avoir raison tout en échouant à convaincre ou encore avoir tort en échouant à convaincre ; pour être clair, parce que je compte tirer de la rétroaction sociale une valeur de connaissance épistémique, comme je l’ai déjà dis plus haut, l’échec dans l’obtention d’une rétroaction tranchante (qui serait porteuse d’un verdict ayant clairement une valeur de vérité) m’empêche de résoudre mes doutes quant à la validité de mes thèses et vient en quelque sorte m’enfermer dans un solipsisme intellectuel traitreusement vicieux. Un pareil enfermement signifie que je suis le seul à pouvoir juger de la valeur de ma pensée, je deviens juge et parti, ce qui est loin d’être une posture favorisant une vraie critique impartiale.

Les conséquences de cela sont immenses : en tant que penseur qui tente d’être rationnel je me figure le monde de façon structurée, et cette structure repose sur elle-même, c’est-à dire qu’elle possède certes quelques bases, mais qu’aucune n’étant sûre et certaine, la cohérence est davantage le facteur à l’œuvre dans la validation des hypothèses. Cette validation est limitée par mes facultés intellectuelles, elles-mêmes tributaires de mes émotions, de mes partis pris idéologiques, de mes expériences de vies, des gens que j’ai rencontrés, etc. Mes facultés validantes sont ici le produit des mes facultés validées. Brièvement : mes facultés s’auscultent elles-mêmes. De façon compliquée : mes critères de validation épistémiques sont un construit qui ne trouve sa légitimation que dans ces mêmes critères, il s’agit donc d’un horrible doublet empirico-transcendantal. Shit.

Il faut se figurer ici le rôle à l’œuvre d’autrui comme étant une sortie partielle (ouf) de cet étouffant solipsisme. En fait, nulle doute que l’on ne peut pas entièrement sortir de cette boucle, mais rien n’empêche qu’on peut faire pénétrer, à travers l’expérience empirique de la réalité sociale, des données qui, lorsque intuitivement traitées et puis dialectisées, finissent par faire un peu de ménage dans la poussière de nos moyens de pensée. La poussière c’est la stagnation, l’absence de remise en doute, les paradigmes fixés depuis belle lurette, ou bien pire : des idées reçues fausses jamais réfutées – des préjugés.

Afin d’être exhaustif, il faut savoir que les pensées passent du monde réel à travers les sens vers le cerveau ou elles sont interprétées. À chaque étape, il y a une transformation qui biaise l’entrée d’information ; la lecture est alors ordonnée pour correspondre à ce que la personne comprend déjà spontanément – comme si le cerveau travaillait à bloquer les idées subversives – ce qui fait en sorte qu’en bout de ligne, très peu de choses apprises à partir des sens changent réellement les paradigmes principaux. C’est un moyen d’éviter de virer fou, utile à la survie, mais qui nuit à la saisie radicale de la réalité nécessaire à faire de la science (ou bien juste de saisir le monde avec une lucidité constamment renouvelée). Mais c’est quand même un système perméable, et selon l’intensité il finit par se constituer un résidu de sens capable de faire émerger à la conscience des bribes de nouvelles idées. L’observation des choses physiques est la source d’un savoir factuel sur la nature. Mais c’est l’observation des phénomènes culturels et civilisationnels qui constitue, instinctivement, la source principale d’apprentissage. On a une sorte d’organe dans la tête pour saisir tout ça. On retire de la socialisation bien plus que des faits mécaniques, il émerge de l’ensemble gestuel et phonétique un alphabet, des mots, des phrases, des dialogues complets – autant en images qu’en sons purs – comme une sorte de langage symbolique. C’est quelque chose qu’on se construit. Bien sûr, on est forcé de se le construire, et ça nous vient naturellement quand les conditions sociales sont réunies, biologie neurologique oblige.

Pour employer une image célèbre, celle de l'œil : dans la perspective d'un raffinement des idées humaines, l'esprit d'un humain, à la manière d'un œil myope, n'est pas assez perfectionné pour saisir le détail de ses idées, il confond des réalités proches et a de la difficulté à placer le détail en perspective de la totalité, il n'est donc pas du tout parfait, et gagnerait à accroitre sa définition. Mais là où l'œil se complète de lentilles et d'instruments variés, la pensée de l'humain ne peut pas se faire augmenter directement de façon quantitative et mécanique. De plus, la conscience même de la limite de l'œil humain est tributaire de la capacité que possède ce même œil de comparer ses capacités à un point de référence qu'il tire de lui-même.

En somme, la perméabilité des organes de compréhension humains est garante de cette sortie du solipsisme que je soulignais plus haut. Mais à quel prix… Pour la survie, l’instinct c’est très bien : oui, l’humain veut se préserver dans l’être, mais ne veut-il pas autre chose de temps en temps ? Pour cela, des ressources cognitives sont effectivement disponibles, et je ne nie pas que notre cerveau ait les reins assez solides pour traiter d’autre chose que de notre alimentation, de notre sommeil et de nos baises : il est capable de coordination sociale, de conceptualisation, de création artistique, de spiritualité, d’autoréflexion, etc. Tout cela il le fait en transformant des perceptions sensibles en symbolismes porteurs de significations variées. Mais sans dire que j’attaque ces facultés, j’attaque leur niveau quantitatif d’imperfection. J’affirme qu’elles sont non seulement insuffisantes en elles-mêmes pour garantir la lucidité d’un sujet pensant isolé, mais j’affirme également qu’elles sont insuffisantes pour générer les conditions suffisantes de possibilités d’une concertation intellectuelle qui permettrait vraiment de faire émerger d’un groupe d’humains une pensée complexe et autrement plus parlante. Plus simplement : l’humain fait avec sa tête un travail de base très pertinent, mais il se mêle facilement lorsque seul (et je doute même qu’il puisse se développer dans aide pour en arriver là…), il a donc besoin des autres, mais par manque de qualité dans sa coordination sociale et ses interactions, cela fait qu’il n’est pas tout à fait capable d’en arriver à des partages de réflexions, qu’il est constamment rebuté, et c’est souvent grâce à l’aléatoire qu’il obtient de réels gains, qu’il s’empresse alors de prendre en note tout croche, pour que pendant des siècles on s’interroge dessus.

Mon doute pourrait donc se résumer à ceci, plus ou moins : il y a des problèmes non résolus dans l'esprit humain individuel, et qu'on passe à une relation avec autrui pour tenter d'élucider ces problèmes, on ne règle que partiellement ceux-ci, et on en crée de nouveaux qui sont issus des nouvelles règles à respecter pour communiquer sainement. D'individus limités pouvant se rassembler en groupes quasi-illimités, on n'arrive à dépasser ni les obstacles de la pensée ni ceux de la communication interpersonnelle. La bonne marche de nos facultés psychiques et sociales est une condition nécessaire mais non suffisante au raffinement, au perfectionnement, de la pensée humaine globale. Reconnaissant l'humain comme limité, même en nombre illimité, dans le temps et l'espace, la coordination de ses activités psychiques est stoppée par une perfectibilité inversement proportionnelle au niveau d'avancement social conditionné par des facteurs matériels qui viennent imposer des limitations aux potentiels théoriques de la raison dans sa pratique sociale.

Un type un peu sceptique pourrait réduire mes propos à ceci : l'humain n'est pas capable d'atteindre la perfection, ça on le sait déjà. Mais il y a plus, vous me voyez venir : non seulement ne pourra-t-il jamais rendre parfaite sa pensée, mais en plus il y a une limite dans la capacité humaine de travailler de concert pour la maximiser quantitativement. Un jour où l'autre, on coupe les coins ronds, on piétine ou on recule carrément, même en groupe.

Qu'est-ce qui pourrait nous faire dépasser cette limite naturelle ? La technologie en a la prétention, et n'a pas complètement tort.

Lorsque, après avoir réfléchi murement un problème, pour le pas oublier la finesse de l'articulation des idées, on consigne sur papier le détail linéaire de nos tribulations, on emploi la technique pour nous venir en aide. Même chose avec une enregistreuse sonore. La calculatrice nous permet de penser une arithmétique bien au delà du meilleur esprit humain. L'ordinateur et les outils logiciels nous offrent des moyens de communication, d'administration et de coordination qui sont devenus les prérequis des sciences de la gestion. L'instrument est le paliatif à nos failles mentales et agit comme le complément matériel de notre rationalité utilitaire. Le matériel et ses fissures comblé par du matériel.

Aucun problème tant et aussi longtemps que l'on ne surestime pas l'outil. Car il y a bel et bien une réduction, et à tort de voir notre oubli faire un ménage bien involontaire dans notre esprit, on choisit, en comprimant notre pensée dans du texte ou des chiffres, de laisser de côté certaines nuances qui ne s'asservissent pas facilement à la cage des symboles. La perte dans le médium est inévitable.

L'avantage de l'écrit est qu'il permet d'aborder l'aspect temporel de la communication d'une façon tout à fait nouvelle. On peut soit lire un texte éloigné dans le temps, produire de l'écrit pour le futur, péréniser notre production ou faire de l'histoire, de l'archéologie. Autrement, hic et nunc, le texte assiste la personne s'exprimant devant une foule, soit comme base du discours, soit comme béquille en cas d'oubli passager. En outre, la présence du texte écrit dans la communication orale peut soit être un inconvénient, dans le cas d'une personne qui lit de façon détachée de la foule, ou bien un immense plus si la personne sait comment employer le texte comme un dépôt d'information déjà travaillée et réfléchie, permettant alors d'investir la présence d'esprit du locuteur plus totalement dans la canalisation interpersonnelle et le charisme. Elle permet le multitâche : d'un côté le texte avec la réflexion préalablement développée et de l'autre la communication verbale attentionnée.

Du point de vue de la validation de ce qui est dit, il y a un paradoxe à l'oeuvre du moment où la qualité de la production orale augmente : plus l'oral respecte le public, plus le public deviendra affectivement vulnérable à la tromperie, moins l'oral s'intéresse au public, plus ce dernier a le loisir de rester critique et impartial. Un public comblé par la beauté du discours est davantage engourdi face à la rhétorique. Un public laissé pour compte sera libre de demeurer impartial. Il peut aussi, et c'est souvent le cas, devenir de mauvaise foi par frustration affective... En effet, la vérité (et c'est aussi le cas de bien des mensonges, sans contredit) dite sans souçi quant à l'aspect diplomatique de son dévoilement a le pouvoir de heurter et de s'aliéner le public à qui elle s'adresse. Toute vérité n'est pas bonne à dire. C'est une vérité qui ne fait pas plaisir à entendre, mais mieux vaut l'apprendre, que de se faire surprendre. Je parle d'expérience.

Subsiste tout de même, chez le conférencier honnête et exhaustif, la possibilité d'une forme de conférence transparente face à sa stratégie et comportant des prétentions conformes à la bonne foi. C'est encore une fois une condition nécessaire, mais non pas suffisante, car nombreux sont les hommes de science qui ont répandu des faussetés en toute bonne foi. Le dialogue entre hommes convainquants et convaincus pose donc quand même un risque indépassable, risque d'erreur qui provient des failles de l'esprit humain, de sa science, de sa naiveté, de sa société et de la matière même dont elle est faite.


02 mars 2009

Vigilance critique

Il ne faut pas baisser la garde car rien n'est acquis. Il se trompe celui qui croit que l'existence par le passé de « critiques de la société » est garante pour le futur d'une soi-disant « immunité » historiquement acquise envers l'exploitation intellectuelle et morale de nos faiblesses communes et connues.

Sans offenser quiconque : on ne peut pas faire l'économie de dire que l'homme est bêtement oublieux, au sens qu'il n'est pas capable de regarder en avant et en arrière à la fois, et qu'à force de projeter en avant des fictions on fait oublier au gens la réalité qu'il y a derrière. Le programme de la culture générale est le programme de la suite de l'Histoire humaine, et le refus de son atomisation anomique.

L'obstacle majeur est la quantité d'information critique qu'il faudrait inculquer aux humains pour les prémunir contre leur exploitation intellectuelle inévitable. Or il n'y a pas assez d'une vie pour que quelqu'un s'y consacrant à temps plein puisse en savoir assez pour se défendre contre la totalité corrosive de la bêtise humaine.

Il y a par contre de l'espoir dans la solidarité humaine qui, chassant les affres d'une jungle artificielle, réussirait à créer un climat propice à une juste et raisonnable émancipation autant corporelle qu'intellectuelle. L'idée n'est pas ici de tout politiser, mais de sévir contre les pollueurs de l'espace public qui menacent la survie de l'écosystème existentiel des humains.


Poker

Nous surtravaillons afin de surconsommer afin de faire grimper le PIB, et de permettre à de grands enfants naïfs et méchants, de jouer au poker avec des millions de tonnes de ressources naturelles, avec des milliards d'heures de vies humaines, avec des milliers d'œuvres d'art, d'universités, de médias, d'inventions, de chercheurs, de croyances, de confiances et de dons. Telle est la bourse en son for intérieur, car sous couvert de faire fructifier le taux d'intérêt transcendantalisé de la haute finance, elle fait de la course à la survie une course de chevaux, faisant de nous tous des bêtes de sommes, soumises aux impératifs de la compétition sportive des gamers du marketplace. Les produits financiers toujours nouveaux sont autant d'objets magiques pour la pensée magique des investisseurs qui fantasment dans l'univers fantastique que leur offre l'illusion de l'avoir face à la réalité de la mortification du monde. Les poubelles de leur lan-party de Wallstreet : des milliards de tonnes de cannes de cokes et de sacs de chips de geeks, jetées outre-mer, « loin des yeux loin du coeur ».

Alors que l'on redistribue la culpabilité, qu'on importe dans les auges-porcherie de nos supermarchés des infinités de gu-gus et de gri-gri insignifiants, on exporte des tonnes de fange, de meurtres et de misère. Si l'occident avait encore foi en quoi que ce soit, c'est au mépris de la précarité des uns qu'elle a sacralisé l'enrichissement funeste des autres.


01 février 2009

En faveur de la simplicité volontaire

Pourquoi l’intérêt économique ne coïncide pas avec le bonheur collectif des humains


Au terme de la chute du bloc communiste, et à travers son discours engagé, voir trop engagé, la gauche a perdu, auprès du public québécois, beaucoup de crédibilité. Cela dit, la critique sociale semble avoir été rejetée comme le bébé avec l’eau du bain. Je nous propose une réflexion modeste n’ayant pour prétention que d’ébaucher certains travers de nos dynamiques socioéconomiques.


Il semble bien, que lorsque l’économie va mal, il faille travailler à soigner l’économie. C’est un devoir national auquel tout devraient œuvrer. Il semble dès lors acquis, à l’esprit de tous, que l’intérêt du système économique coïncide avec l’intérêt des citoyens. Ainsi, la menace qui pèse sur l’économie pèserait également sur le bonheur humain, et vice versa.

C’est une confusion qui, à mon sens, mérite d’être éclaircie. Je laisserai au bon soin des économistes le mandat de revenir sur ce qui suit, et d’y voir les lacunes qui s’imposeront à leurs yeux.

« One Upon A Time There Was A Happy Economy… »

Tout d’abord, quelles sont les conditions générales d’une économie en santé ? Il faut qu’il y ait des transactions fréquentes entre des agents économiques, et qu’un certain profit revienne à tous les acteurs. Si la production trouve preneur, tout va bien car l’offre est en bon termes avec la demande, et il n’y a ni pénurie ni surproduction. Si les besoins matériels sont comblés et que tous contribuent à la richesse collective, tout va bien. La contribution de chacun à vouloir combler ses intérêts propres par la relation entre son travail et sa consommation fournit à d’autres du travail et des ressources.

Une économie qui progresse voit sa production augmentée et trouver preneur. Pour que cela fonctionne, il faut que les moyens de production soient appropriés et suffisent à la tâche. Il faut produire selon les besoins, et tant qu’il y a du besoin, produire plus est bénéfique. De la même façon, si les besoins augmentent, cela est bénéfique, car il sera d’autant plus facile d’écouler les produits sur le marché.

Il s’en suit qu’une relation simple existe à l’égard d’un peuple comme le Québec : plus les gens produisent et consomment, mieux se portera l’économie, et s’il est en plus possible d’exporter et d’importer de façon massive en comblant plus de besoins et en créant plus d’emplois, alors l’affaire est ketchup !

La course folle
Où l’art de se créer des obstacles en courant trop vite


À quoi ressemble la société qui répondrait aux exigences du marché ? D’abord, une personne devra travailler beaucoup. Elle sera d’autant mieux payée, idéalement, que ses heures seront nombreuses et que son secteur sera exigeant. Ainsi, plus ses heures et son énergie est employée au travail, plus elle reçoit de sous en retour. Ceci, bien entendu est dans un scénario idéal.

Maintenant, épuisée, notre personne humaine reçoit son salaire et, pour compenser sa fatigue et le manque de temps, essaie d’investir ses sous afin de maximiser son agrément individuel dans les loisirs. Elle favorisera donc des loisirs plus coûteux et qui sortent de l’ordinaire, des repas de meilleure qualité, des sorties fréquentes, achètera des objets plus prisés pour sa maison. Cela consommera presque tout son revenu.

Notre travail et notre activité prennent beaucoup de place et il faut donc décrocher en dépensant pour dégoter les loisirs qui nous donnent la plus grande satisfaction existentielle. Mais le bonheur qu’on retire de l’exercice n’est pas automatiquement au rendez-vous. Aristote, il y a longtemps, parlait de l’accoutumance au luxe, et du fait que notre bonheur ne venait pas en proportion des plaisirs, qu’on finissait par trouver banal certains extravagances couteuses et d’en dépendre. On sait aussi tout que la jouissance est en lien avec notre état d’esprit et notre santé physique, et que notre plaisir est souvent relatif au contexte, et à des aléas plutôt subjectifs. En clair, et sans prétendre révéler un secret : l’agrément n’est pas en proportion du prix, même si plusieurs s’en convainquent.

Tout ce travail physique et intellectuel demeure taxant, et être très actif de la sorte nous abîme. On note des problèmes de santé qui n’étaient pas là par le passé, et certains chercheurs prévoient une baisse de l’espérance de vie, due au stress et à la toxicité de nos habitudes de vie. La quantité d’ordonnances pour antidépresseurs a atteint des sommets historiques, et la tendance est à l’hyper-médication. D’un autre côté le succès des jeux vidéo, des écrans plasma, de la musique téléchargeable, des cellulaires, et des iPods provient du fait qu’ils nous procurent de la détente ou nous sauvent du temps. Pour pouvoir soutenir ce style de vie, on a besoin de palliatifs chimiques et de davantage de loisirs.

Un mode de vie toxique, en plein déni de sa tristesse

Selon ce que je viens d’illustrer, ce que je m’apprête à dire va de soi : la production de loisirs et de médicaments dépend d’un besoin et crée un besoin. Plus on travaille, plus on a besoin de consommer, plus l’économie roule.

Cette surproduction/surconsommation ne nous rend pas plus heureux, des études récentes le démontrent, et non seulement est elle très polluante pour notre corps et notre esprit, elle l’est aussi pour l’environnement. Les écrans plasma ont fait augmenter de 40 % la consommation d’électricité de soir en Californie, où cette mode est déjà très répandue, causant une dépense énergétique en combustibles fossiles hors du commun. Les appareils électroniques ont besoin de matériaux rares et toxiques, et leur remplacement constant est devenu une menace environnementale de taille.

Le parallèle que je veux tracer est qu’une économie en santé va rendre des humains malades et va leur fournir des remèdes achetables, car cela augmente son activité, et favorise l’emploi et le profit pour tous les acteurs économiques. Idem avec l’environnement. Même dans le scénario le plus égalitaire économiquement, c’est une tendance naturelle qu’à vouloir augmenter les besoins et la production, on brûle la chandelle par les deux bouts.

Aucune solution miracle, mais…


Sans dire que nous avons là un problème limpide et que de là nous aurions une solution évidente à proposer, il est quand même notoire qu’il y a un problème réel avec notre façon collective de fonctionner. Il y a longtemps que nous avons dépassé le stade où les besoins humains de base pouvaient être comblés en créant le plein emploi. L’industrie s’est chargée de nous rendre trop efficace pour nos besoins, et pour éviter le ralentissement nous nous sommes engagés sur la pente sans fin de l’accélération, avec les scléroses que cette diète occasionne à l’homme et à la nature.

L’espace étant manquant, je propose de ne faire que l’esquisse d’une solution : la simplicité volontaire et le ralentissement économique associé. Un bonheur relatif au rythme de vie de la personne, plus de temps, moins de troubles de santé, moins besoin d’acheter pour compenser les pathologies de l’industrie, un environnement plus sain, des contacts humains plus authentiques, moins de presse, et assez de temps pour lire et songer à ce qu’on veut de sa vie. Tout cela au prix d’une économie moins compétitive et de moins d’heures d’emploi. Dans ce scénario il faudrait réfléchir à l’usage qu’on fait de notre temps, aux besoins réels des humains, et le faire sans la médiation d’un cycle consommation/production surexcité.


04 mars 2008

Gary Gygax est mort ce matin

M. Gygax a co-fondé Donjons et Dragons il y a plus de 30 ans, créant à partir d'une sensibilité pour l'imaginaire un exutoire magique pour la créativité, et permettant l'émergeance de toute une sous-culture marginale entourant la science-fiction et le "fantasy". Le monde du Jeu de Rôle s'est depuis bien élargi, vers les mondes gothiques de White Wolf, la science fiction des Star Wars et Shadowrun, les univers de Super Héros, et bien davantage. D'ailleurs, à l'heure actuelle, Donjons et Dragons entâme son évolution vers sa quatrième édition, et s'il est le plus connu du genre, et encore le plus populaire, il est maintenant entouré d'univers qui ratissent large l'infini du champ de l'imaginaire humain, de ses espoirs et de ses aspirations.

La mort aujourd'hui de cet homme me laisse donc bien ému, et c'est avec respect que je tiens à souligner son apport à l'histoire de la créativité humaine.


13 août 2007

Volonté valable

Avoir une seule vie limitée par non seulement le temps et l'espace mais bien les contraintes attachées à notre perpétuation biologique nous impose de faire des choix. Celui qui est sage recherche alors ce qui à ses yeux sera le plus valable pour y investir la somme restante de ses ressources. Sa volonté le dirigera alors vers son but, alimenté par ses capacités mises en puissance (talents innés, outils acquis, y compris).

Je me demande ce qui a de la valeur, car je cherche la voie du sens. Celle qui orientera ma vie pour que je déverse ma puissance personnelle en une direction plutôt qu'en une une mare stagnante inconstructive et sans vecteur aucun. Et encore une fois je songe.

Je pense en cet instant, car il importe que je puise dans l'instant, que parmi les voies intéressantes il se pourrait que l'étude du phénomène de la conscience serait l'une des voies les plus valables. Le saut qualitatif entre ce qui n'a pas de vie et ce qui est vivant est un objet d'étude pertinent (quoique l'on en sache fort peu sur la démarcation les séparant) et cela tout autant que ce second saut qui à mon sens existe entre ce qui est conscient et ce qui ne l'est pas. La cellule individuelle est-elle consciente ? La souris ou le chat ? Le singe, lui ? Et comment faire pour reproduire le phénomène ?

Dans la lignée des directions possibles j'alignerais la création artistique, l'étude de la société et celle de la science fondamentale (la physique, principalement). Ces autres éléments, avec l'étude de la conscience, forment quelques uns de mes points d'intérêt majeurs, et me semblent valables.

Il n'y a qu'un sentier derrière soi, et des lucioles en avant. Celui qui avance sait qu'il va de l'avant quand il doit tracer sa route. Piétinner sur soi, c'est s'éteindre avant de mourrir, car l'homme comme le feu est éphémère et doit se mouvoir pour s'alimenter.


26 juillet 2007

Pacifisme et indifférence, exigence et extrémisme

Chaque jour j'ai dans la tête un combat entre deux visions de mes actions futures.

L'une m'implore d'être sceptique envers mes conclusions trop rapides et sème le doute en admettant la possibilité que tout soit fait de telle sorte qu'en essayant d'améliorer une chose, il faudrait en sacrifier une autre. La conclusion de cette perspective : tout choix visant une amélioration serait esthétique en vertu du relativisme (car il n'y aurait de gain qu'en vue de certains critères sans fondements), ou dépenderait sur des ressources qui, si elles existaient ou pouvaient exister, régleraient les problèmes de maints systèmes (par exemple : une population éveillée qui viserait l'amélioration du monde ferait fonctionner une bonne part des systèmes, mais n'existe que dans l'esprit de celui qui la conçoit). Cette première vision assume aussi que l'état actuel des choses n'est pas sans raison, et me somme d'accepter le monde tout en essayant de le comprendre. D'autres intellectuels étant passés avant moi, il y aurait de quoi croire que ce n'est qu'une question de manque de perspective si j'en viens à vouloir tout changer.

Penser le monde ainsi rend toute action politique peu valable, et à cette idée une vague de dégoût nihiliste me frappe en me criant d'investir mes énergies là où je peux espérer semer un peu de sens. Je ferais alors de ma vie un esthétisme partagé entre un hédonisme doux et un intellectualisme distant. Je chercherais une demoiselle belle dans son coeur, profonde et d'agréable compagnie avec qui échanger et fonder une famille unique. J'enseignerais l'art de penser par soi-même à des jeunes tout en élevant des enfants au regard éveillé. Je décorerais mon monde de beauté, dorloté par les parures valables dont je l'aurais sincèrement orné, et que je saurais vraies car je les auraient faites ainsi.

C'est, honnêtement une belle vision. Et à la fois, j'ai peur qu'elle soit une fuite du réel par le réel, comme je craint voir à grande échelle dans la société. Drogué par ma vie heureuse, je limiterais la portée de mes actions à ce que je pourrais changer. Je tenterais d'être raisonnable et sage, mais j'aurais abandonné.

La vision adverse, laide par maints côtés, refuse de rester seulement le témoin d'un bateau qui coule. Même s'il est prématuré de croire que toute eau envahissant la cale est signe que le navire est en train de sombrer, demeurer à l'aise dans la cale s'il coule vraiment serait, pour moi, impardonnable. C'est, sans contre dit, une question de foi qui seule peut motiver quelqu'un à faire l'ascention vers la froide surface, et hors de la tiédeur confortable de la cale. Foi qui ne peut pas m'empêcher d'y voir un danger, car qui dit croyance zélée dit dogmatisme, hors je crains autant le dogmatisme menant à l'extrémisme violent que l'indifférence et le relativisme menant à la complaisance. Hors il n'y a que des degrés qui séparent ces extrèmes - pas de solution magique - comment s'orienter ?

On parle de conviction, de confiance en soi, d'assurance. Il m'en faudrait davantage pour continuer à avancer. Il faudrait que je sois sûr de la véracité de mon propos, et de son évolution, en tant que ce dernier désire toujours l'action comme finalité, et non seulement le constat.

Que nécessiterais cette vision dite « adverse » ? Un intellectualisme dangereux se rapprochant davantage du donquichottisme que de « l'armchair philosopher » (expresion illustre, littéralement philosophe en chaise berçante). Une vie faite de conflit et d'épreuves demandant force et percévérance, à la fois sacrifiée pour une cause possiblement futile que vidée de sa simplicité. Mais le projet, qui n'est pas de part sa nature « original », ne peut empêcher de me séduire en tant qu'il est un défi qui pousse au meilleur de soi dans une perspective mi-altruiste, mi-fière. J'y songe.

Serait-il possible de cultiver les deux rêves ? L'homme simple visant l'épanouissement et la sagesse en face du visionnaire engagé dans la réforme nécessaire d'un monde vut comme se dirigeant vers l'abîme.

Question à laisser sans réponse, pour l'instant.

Autres questions sous-jascentes et sous-entendues dans le texte plus haut que je désire soulever : je voudrais être plus exigent envers moi et envers la société, qu'elle veuille mieux et qu'elle le lève contre le mourroir qui l'attend et l'indifférence qui l'aveugle, mais est-ce une chose possible à faire sans devenir moi-même violent et sans que la société sacrifie son pacifisme sur l'autel de l'idéologie ? Est-ce que nous sommes condamnés à demeurer sans vision parce que plusieurs derrières nous ont échoué et causé du tort ? Est-ce que le pacifisme se nourrit d'indifférence et d'apathie ? Es-ce que la tollérance est un relativisme qui conduit à la médiocratie, à la complaisance, à l'immobilisme, à l'individualisme granulaire ?

Sagesse et subversivité.
Savoir et action.
Paix et lutte.
Tollérance et exigence.
Modération et passion.
Pragmatisme et radicalisme.
Bonheur et réalisation.
Doute et foi.


25 juillet 2007

Entre fer et aimant

À me lire en ces temps récents, il serait pertinent de croire que j'entretiens avec l'humain une relation de méfiance tirant sur le mépris. J'abdique à cette constatation, mais j'aimerais, avant de céder sans résistance à ce propos, nuancer une défense et mettre en relief une contrepartie moins déloyale que celle que mes proses pourraient suggérer.

Sur l'image récurrente de l'humain veule et lobotomisé enfermé dans son mourroir quotidien à grands coups de seringues et de sédatifs régulateurs, d'abord une analogie, puis des éclaircissements.

L'humain est l'argile des sociétés, et comme le médium, peut se montrer souple ou solide selon les circonstances. Comme celui qui sait traiter avec l'argile peut dompter la matière pour en obtenir une forme, celui qui sait modeler l'homme et le pétrir agilement obtiendra de ce dernier un résultat qui, quoique moins aisé à prévoir qu'en ce qui concerne le matériau, pourra tout de même être plus ou moins déterminé.

Sans m'attaquer à « l'humain » directement, je m'attaque à sa vulnérabilité à être si facilement modelé. Certes, l'ouverture à autrui est l'une des conséquences positives de cette particularité, car elle permet à l'humain de s'adapter er de mieux survivre; elle lui permet aussi d'apprendre. Néanmoins, exploiter l'humain à travers cette faille peut le réduire à un instrument dont la servilité utilitaire dessert des intérêts peu louables. Malheureusement, rien ne permet d'aisément distinguer les deux, sinon l'oeil de celui qui regarde. Hors ce que je vais dénoncer ne touchera pas à ce dont l'esprit humain est modelé, car sur cela j'aurais bien davantage à dire et avec moins de précautions, mais bien sur la manière dont sont modelés « les humains » en général.

Je quitte ici l'argile pour une autre analogie mieux à même d'illustrer ce pluriel. Imaginons chaque homme et chaque femme comme une petite aiguille faite de différents alliages de fer (telle que de la limaille, par exemple). Prise seule, chaque aiguille peut s'orienter dans une direction quelconque, que je ne jugerai pas ici. Prises ensemble, toutes les aiguilles auront, grosso modo, chacune une orientation à elles, bien que celles-ci puissent ce ressembler quelques peu. Encore un fois l'orientation de chaque aiguille est laissée au jugement de l'observateur, intéressons nous plutôt à la vue d'ensemble qui, pour l'instant, semble plutôt diversifiée, sinon chaotique. Qu'arriverait il si, par indavertance ou volontairement l'on approchait un aimant des aiguilles en fer ? Les aiguilles ayant les alliages les plus susceptibles au magnétisme l'aligneront d'une manière toute particulière autour de l'aimant.



Cette orientation des aiguilles envers certaines directions, c'est l'admirable impression que je retire d'un observation toute récente du comportement de la population. De la même manière que chaque aiguille possède initialiement une direction, la présence d'un aimant vient changer cette dernière pour lui en imposer une autre de force. L'aiguille s'adapte, change sa mire, et pointe ailleurs, là où il lui est indiqué de le faire. L'aurait-elle fait sans l'aimant, c'est possible étant donné le nombre d'aiguilles dans l'amas, mais improbable considérant l'infinité des directions possibles. L'aiguille, à ce titre, vient de réagir de manière prévisible à un pouvoir qui fut exercé sur elle, dans ce cas-ci l'aimant, tout comme plus haut l'argile le fut par la main habile qui fut appliquée sur elle.

Qui tient l'aimant au dessus de la société ? Personne n'est au dessus, il n'y a donc que l'humain.

L'aimant serait plutôt la culture qu'une personne. Tout comme elle est transportée par l'humain pour le meilleur et pour le pire, certains humains peuvent exercer sur la culture une plus grande influence que d'autres. Ainsi, bien que les aiguilles aient tendance à s'orienter en groupes à la base, certains se spécialisent dans l'orientation des groupes de manière à tirer un certain profit une fois leur attention acquise. Les média ? Chaque entreprise désirant vendre ? Chaque parti voulant se faire élire ? Oui, c'est un peu cela et davantage, et c'est une part de ce que j'attaque en ces temps troubles. Ce ne sont pas directement les individus, ni leur ouverture, c'est l'orientation grégaire et bonasse que prennent les masses, permettant ainsi que nos sociétés aillent à leur ruine dans une apathie dirigée et des plus complètes; tout cela, afin que certains puissent garder le pouvoir et l'argent et se le diviser à leur guise, au mépris d'un bien-être général pourtant accessible.

Le meilleur de ce que j'avais à dire étant dit pour l'instant, je reviendrai là dessus sur un forme ou une autre dans le futur. Des pistes ? Si le magnétisme est à l'aimant, est-ce que le Beau en est son pendant pour l'humain ? Quel principe oriente les populations ?


22 juillet 2007

L'instant triste

Dans l'horizon de ma mémoire se logent des souvenirs empaquetés
Un mur indistinct marque le fond de cet endroit
J'ai souvent l'impression de bien connaître ces souvenirs,
De pouvoir ramener à mon esprit les grands traits de mon histoire
Mais par moments
Succints
Je distingue des boites empilées que depuis longtemps j'ai laissé fermées
Et j'y découvre des bribes face contre terre, que j'ai mis de côté lors de la composition de moins en moins fidèle de mes résumés
Je sursaute le coeur battant, les yeux fermés maintenant ouverts, à l'idée que par négligence j'aies pu ré-écrire une toute autre histoire en disposant un échantillonage réduit de faits en une nouvelle trame, et que par cette inadvertance j'aies effacé l'ordre véridique des événements pour le remplacer par un composite de créations mensongères

Qui suis-je donc ?

J'ai dans la tête des images plus ou moins positives de l'être humain que je suis, et dont je me suis construit l'image
Ces images n'ont de valeur que si j'ai confiance en elles
Hors j'ai raturé les vrais événements
Les images ne disent plus rien de valable, il faudrait croire
Et pourtant, malgré la fluidité par lequel j'en viens à douter d'elles intellectuellement, je ne puis me défaire d'elles
Je m'en sert pour me donner une définition
Je me justifie d'agir de telle manière grâce à elles
J'agis identique à elles
Mais au delà de ce qui humainement et matériellement m'entourre, si je n'aime pas certaines de ces images, je devrais pouvoir m'en défaire lorsque que vient le moment où j'agis
Je briserais la chaîne des événements et commencerais ailleurs

Or, les occasions me sont données, mais quelque chose de plus vaste que mes souvenirs me retient de lacer trop loin le textile informe de mon identité : mes émotions
Sans elles je n'aime rien, je ne déteste rien, je n'ai ni aise ni mal aise, je suis indifférent, apathique, blasé
Sans émotions je me décompose en un vide inconnu
Et cet inconnu m'effraie soudain, et l'émotion me rattrape sous forme d'une peur mêlée de dégoût

Il y a une vaste plaine par lequel j'erre
Je me dirige à la course en un point lointain, puis je change de direction, et je recommence en maints instants
Je doute de la voie à prendre, comme si à la fois il n'y en n'avait qu'une et qu'en même temps il n'y en avait aucune
Même ces lignes sont succeptibles à ce changement de direction
J'ai l'impression d'être un vent balayant un tas de débris
Je ne suis jamais ce que je voudrais être
En certains moments j'éprouve un vif sentiment de vérité, de sens, de direction
Je suis, en ces instants, rempli d'une légèreté indescriptible
Et peu après je regarde derrière et c'est passé
Je doute alors que cette légèreté ait eu une valeur, un sens
Dans ma vaste plaine ces moments ou un vent tiède me frôle me rappellent comment l'air froid tombe lourdement


15 juillet 2007

Brumes sur l'horizon

Le monde avance avec grande lenteur.

Il est minuit trente et un. Demain sera comme aujourd'hui, mais plus un.

Et voilà que le progrès cours... et on ne le voit plus; où est-il passé ?

Je regarde devant. Le mourroir des masses indistinctes forme une ligne d'horizon qui rejoint un ciel au bas plafond.

Tout est empilé et gris. C'est morne.

Là haut tout est sec, l'air stagne.

Rien n'a même le mérite de puer, car seul la senteur chimique du neuf semblait plaire aux anesthésiés désinfectés préemballés du linceuil. Leurs longs préambules s'évanouissent dans un coucher de soleil sans fin.

J'ai cru entendre une mélodie; c'était une ambulance. À en croire la brusque coupure, elle a dû faire un accident.

Les dernières voitures à encore rouler le font dans des ornières en marge des grands boulevards. Trop de gens sont mort dans la rue, il a fallu improviser.

Il ne reste que des tours à bureaux innondées de sédatifs, pleines à en crever d'organismes vivants identifiables à des humains. Ils bavent tous dans des sièges roulants étiquetés avec des postes importants.

Il faudra repreindre les murs verts en gris.

Il ne restera plus de gris.

Ni de mur.

Vaccuum.

Le silence.

Et j'ai encore soif.


11 juillet 2007

Romains

À Rome fais comme les Romains
Et ne te pose pas la question
Si du jour au lendemain,
Que tu sois berger ou Centurion,
Tu aura tes jeux et ton pain.

À Rome on fait l'importation
De fins loisirs et de riches biens,
Mais jamais d'interrogations.
Car il faut laisser les gens sereins;

Alors,
À toi qui bosse,
Ne fais pas attention :

Rome ne s'est pas détruite en un jour.


05 juillet 2007

Sans importance

Il faut toujours revenir sur les choses sans importance.
Et puisque rien n'a d'importance a priori, oublier un détail par faute de n'y avoir pas trouvé de qualité méritant l'attention serait pour le moins regrettable.


Détour passager

J'ai rencontré ce poème au hasard d'un lien quittant cette page. Je l'ai ramené ici à votre intention. Cette faste gerbe de mots sur la plaine de mon visage plat aura fait germer un sourire heureux. Puissiez vous avoir du soleil près des dents !

Poésie
Un poème de Cécile Sauvage

Dans la pelouse endormie
Sous l'azur pâle et rêveur,
Les brises en accalmie
Bercent les bouleaux pleureurs.
En ce silence de rêve
Une voix d'oiseau
Seule et divine s'élève
Des bouleaux.

La suite...


Il n'y a aucune originalité

Je serai satirique, c'est classique.

N'essayez pas de faire du neuf. Vous ferez une variation sur un vieux thème. On vous dira « Beau pastiche ! », vous répondrez « Merci ! Je suis content de savoir que je ne suis pas le seul à n'y voir aucun intérêt ! ». Même les musées des horreurs sont rendus ordinaires, le laid a attrapé la même souche de grippe que le beau. Aujourd'hui les tabous brisés par le passé ont été refaits dans un matériau hybride de plastique et de titanium. Le tout a un nom compliqué. La somme combine l'indifférence blasée avec l'implicite « Chut ! » d'un censeur muet.

Les autoréférences n'impressionnent même plus leurs auteurs. Il faut surprendre, mais avec les déficits d'attention qui courent les rues, difficile à faire. Non, je ne ferai pas de jeu de mot entre déficit et endettement si c'est ce que vous croyez, vous voyez le genre. De toute manière je suis né avec une hypothèque plus longue que mon espérance de vie et les fesses assises sur la selle d'un cheval qui n'allait nulle part. J'y suis toujours, on m'a dit à la télé d'avoir peur du présent et de l'avenir parce que « nulle part » se raréfiait et qu'ils allaient en manquer. J'ai fait des réserves, ça pourrait toujours servir.

Je m'écarte. J'en étais à me répéter, comme plusieurs noms connus l'on déjà répété avant moi, que le sens était en voyage, entre l'aller simple et le sans retour. Des sauveteurs le cherchent toujours, et on a des fondations (à but non lucratif) à son nom. Sa famille a écrit des livres, ils voudraient pouvoir commencer leur deuil. Trop tard, ce dernier est probablement parti avec lui. Le sens n'a pas laissé de testament.

Vous avez toutes les raisons d'être déçus, mais vous n'avez probablement pas les moyens de vous le permettre. J'irai faire jouer un peu de prêt-à-entendre, ça nous calmera la volonté de penser.