01 février 2009

En faveur de la simplicité volontaire

Pourquoi l’intérêt économique ne coïncide pas avec le bonheur collectif des humains


Au terme de la chute du bloc communiste, et à travers son discours engagé, voir trop engagé, la gauche a perdu, auprès du public québécois, beaucoup de crédibilité. Cela dit, la critique sociale semble avoir été rejetée comme le bébé avec l’eau du bain. Je nous propose une réflexion modeste n’ayant pour prétention que d’ébaucher certains travers de nos dynamiques socioéconomiques.


Il semble bien, que lorsque l’économie va mal, il faille travailler à soigner l’économie. C’est un devoir national auquel tout devraient œuvrer. Il semble dès lors acquis, à l’esprit de tous, que l’intérêt du système économique coïncide avec l’intérêt des citoyens. Ainsi, la menace qui pèse sur l’économie pèserait également sur le bonheur humain, et vice versa.

C’est une confusion qui, à mon sens, mérite d’être éclaircie. Je laisserai au bon soin des économistes le mandat de revenir sur ce qui suit, et d’y voir les lacunes qui s’imposeront à leurs yeux.

« One Upon A Time There Was A Happy Economy… »

Tout d’abord, quelles sont les conditions générales d’une économie en santé ? Il faut qu’il y ait des transactions fréquentes entre des agents économiques, et qu’un certain profit revienne à tous les acteurs. Si la production trouve preneur, tout va bien car l’offre est en bon termes avec la demande, et il n’y a ni pénurie ni surproduction. Si les besoins matériels sont comblés et que tous contribuent à la richesse collective, tout va bien. La contribution de chacun à vouloir combler ses intérêts propres par la relation entre son travail et sa consommation fournit à d’autres du travail et des ressources.

Une économie qui progresse voit sa production augmentée et trouver preneur. Pour que cela fonctionne, il faut que les moyens de production soient appropriés et suffisent à la tâche. Il faut produire selon les besoins, et tant qu’il y a du besoin, produire plus est bénéfique. De la même façon, si les besoins augmentent, cela est bénéfique, car il sera d’autant plus facile d’écouler les produits sur le marché.

Il s’en suit qu’une relation simple existe à l’égard d’un peuple comme le Québec : plus les gens produisent et consomment, mieux se portera l’économie, et s’il est en plus possible d’exporter et d’importer de façon massive en comblant plus de besoins et en créant plus d’emplois, alors l’affaire est ketchup !

La course folle
Où l’art de se créer des obstacles en courant trop vite


À quoi ressemble la société qui répondrait aux exigences du marché ? D’abord, une personne devra travailler beaucoup. Elle sera d’autant mieux payée, idéalement, que ses heures seront nombreuses et que son secteur sera exigeant. Ainsi, plus ses heures et son énergie est employée au travail, plus elle reçoit de sous en retour. Ceci, bien entendu est dans un scénario idéal.

Maintenant, épuisée, notre personne humaine reçoit son salaire et, pour compenser sa fatigue et le manque de temps, essaie d’investir ses sous afin de maximiser son agrément individuel dans les loisirs. Elle favorisera donc des loisirs plus coûteux et qui sortent de l’ordinaire, des repas de meilleure qualité, des sorties fréquentes, achètera des objets plus prisés pour sa maison. Cela consommera presque tout son revenu.

Notre travail et notre activité prennent beaucoup de place et il faut donc décrocher en dépensant pour dégoter les loisirs qui nous donnent la plus grande satisfaction existentielle. Mais le bonheur qu’on retire de l’exercice n’est pas automatiquement au rendez-vous. Aristote, il y a longtemps, parlait de l’accoutumance au luxe, et du fait que notre bonheur ne venait pas en proportion des plaisirs, qu’on finissait par trouver banal certains extravagances couteuses et d’en dépendre. On sait aussi tout que la jouissance est en lien avec notre état d’esprit et notre santé physique, et que notre plaisir est souvent relatif au contexte, et à des aléas plutôt subjectifs. En clair, et sans prétendre révéler un secret : l’agrément n’est pas en proportion du prix, même si plusieurs s’en convainquent.

Tout ce travail physique et intellectuel demeure taxant, et être très actif de la sorte nous abîme. On note des problèmes de santé qui n’étaient pas là par le passé, et certains chercheurs prévoient une baisse de l’espérance de vie, due au stress et à la toxicité de nos habitudes de vie. La quantité d’ordonnances pour antidépresseurs a atteint des sommets historiques, et la tendance est à l’hyper-médication. D’un autre côté le succès des jeux vidéo, des écrans plasma, de la musique téléchargeable, des cellulaires, et des iPods provient du fait qu’ils nous procurent de la détente ou nous sauvent du temps. Pour pouvoir soutenir ce style de vie, on a besoin de palliatifs chimiques et de davantage de loisirs.

Un mode de vie toxique, en plein déni de sa tristesse

Selon ce que je viens d’illustrer, ce que je m’apprête à dire va de soi : la production de loisirs et de médicaments dépend d’un besoin et crée un besoin. Plus on travaille, plus on a besoin de consommer, plus l’économie roule.

Cette surproduction/surconsommation ne nous rend pas plus heureux, des études récentes le démontrent, et non seulement est elle très polluante pour notre corps et notre esprit, elle l’est aussi pour l’environnement. Les écrans plasma ont fait augmenter de 40 % la consommation d’électricité de soir en Californie, où cette mode est déjà très répandue, causant une dépense énergétique en combustibles fossiles hors du commun. Les appareils électroniques ont besoin de matériaux rares et toxiques, et leur remplacement constant est devenu une menace environnementale de taille.

Le parallèle que je veux tracer est qu’une économie en santé va rendre des humains malades et va leur fournir des remèdes achetables, car cela augmente son activité, et favorise l’emploi et le profit pour tous les acteurs économiques. Idem avec l’environnement. Même dans le scénario le plus égalitaire économiquement, c’est une tendance naturelle qu’à vouloir augmenter les besoins et la production, on brûle la chandelle par les deux bouts.

Aucune solution miracle, mais…


Sans dire que nous avons là un problème limpide et que de là nous aurions une solution évidente à proposer, il est quand même notoire qu’il y a un problème réel avec notre façon collective de fonctionner. Il y a longtemps que nous avons dépassé le stade où les besoins humains de base pouvaient être comblés en créant le plein emploi. L’industrie s’est chargée de nous rendre trop efficace pour nos besoins, et pour éviter le ralentissement nous nous sommes engagés sur la pente sans fin de l’accélération, avec les scléroses que cette diète occasionne à l’homme et à la nature.

L’espace étant manquant, je propose de ne faire que l’esquisse d’une solution : la simplicité volontaire et le ralentissement économique associé. Un bonheur relatif au rythme de vie de la personne, plus de temps, moins de troubles de santé, moins besoin d’acheter pour compenser les pathologies de l’industrie, un environnement plus sain, des contacts humains plus authentiques, moins de presse, et assez de temps pour lire et songer à ce qu’on veut de sa vie. Tout cela au prix d’une économie moins compétitive et de moins d’heures d’emploi. Dans ce scénario il faudrait réfléchir à l’usage qu’on fait de notre temps, aux besoins réels des humains, et le faire sans la médiation d’un cycle consommation/production surexcité.