02 mai 2006

Notre vie versus l'universel

Nous passons tous une majeure partie de notre vie (plus ou moins) confortablement installés dans notre perspective de vie humaine. Nous travaillons, étudions, cherchons l'âme soeur, allons en vacances, dépensons de l'argent pour diverses raisons, etc. Ces activités recouvrent tout notre horizon intellectuel ou presque. C'est apparemment normal pour nous, en fait c'est un peu notre mode de vie, et c'est par cette fenêtre que nous voyons la vie. Cette minuscule fenêtre de l'existence...

De rares fois, un événement nous amène à porter un regard différent sur nos existences, nous faisant sortir de notre fenêtre jusqu'à ce qu'on puisse voir le monde extérieur. Ce peut être pendant un moment particulier passé à regarder les étoiles, pendant une émission scientifique, après un événement difficile ou une période de questionnement. Peut importe le mécanisme qui nous ouvre la voie, nous sommes toujours transportés comme en altitude au dessus de nos vies, prêts à relativiser.

Et puis l'on retombe.

Notre montre sonne l'heure, il se fait tard, il faut rentrer. Une pause publicitaire de détergent à linge interromps nos divagations. Le travail nous ramène à d'autres soucis et à d'autres questions plus urgentes.

C'est une étrange dichotomie qui sépare nos vies. D'un côté nous sommes des humains aux vies pratiques et concrètes. Même la majorité de nos activités mentales les plus complexes ne nous obligent pas à sortir du cadre de nos existences propres. Et d'un autre côté nous avons l'incroyable capacité de sortir de ce cadre et d'observer les choses plus globalement, plus universellement.

Que sommes-nous? Des humains, mais encore? Nous sommes des animaux, des vivants, des amas d'atomes soudés en molécules et assemblés si brillamment que nous sommes capables de nous déplacer, de voir, de penser, de lire. Nous sommes complexes. Plus complexes que tout ce que nous n'avons jamais fait de nos mains. Et nous ne sommes pas seuls : il y en a d'autres comme nous. Certes pas capables de naviguer l'Internet, mais capables de faire des choses que même cet orgueilleux humain n'est pas capable. Ils peuplent l'Antarctique, les abysses des océans, les jungles d'Amérique du Sud et d'Afrique. Ils se propagent dans le désert de Gobi et dans le Sahara, au coeur de la Cordillère des Andes et de l'Himalaya. Plusieurs vivent dans un équilibre fragile, dépendant d'interrelations complexes pour subsister, et d'autres sont comme des objets dans nos mains, de véritables usines à fabriquer ce que nous avons « besoin ».

Et de quoi avons nous besoin? De manger, de dormir, mais aussi de s'abriter parce que nos corps sont mous et fragiles et que sans protection nous mourrons facilement. Pourquoi remplir ces besoins? Pour se reproduire, procréer, poursuivre la chaîne. Nous sommes des vivants en premier, et nous perpétuer est notre fonction première. Mais certes, une fonction peut-être un « but » en soi, mais est-elle le seul but?

Je disais plus haut que nos vies étaient « concrètes » : nous faisons ce que nous croyons utile, ou nécessaire. Donc nous agissons! Mais est-ce que nos agirs mènent vers un but? Est-ce que la nécessité est le but que nous remplissons? Et puis quelle est cette nécessité après tout? Le travail, les études, la famille et les obligations que ces systèmes sous tendent. Mais nous les avons créées! L'humain passe-t-il alors tout son temps à remplir des obligations fabriquées de ses mains? Peut-être.

L'humain est un animal. Les systèmes sont le résultat d'une gestion des besoins humains transformée en but-en-soi. La nutrition, le repos, la protection (habillement et abri), la reproduction, ce sont toutes des fonctions animales qui sont reprises à divers niveaux dans l'ensemble des systèmes. Et puis d'autres « besoins » s'y sont greffés : s'informer, se distraire, socialiser, etc. Ils ne sont pas complètement nouveaux, juste des dérivés de la survie humaine, elle-même essentiellement animale. Mais au fur et à mesure que l'on diverge de ce qu'est l'humain, à mesure que l'on abstrait la nature de l'homme, on perd un peu de ce que nous sommes pour devenir quelque chose de différent.

Ne pas voir en mon discours une pure critique de ce que nous sommes devenus. Certes il y a matière à critique – et quelle profusion de matière! – mais les changements qui se sont opérés dans la société humaine au cours des siècles sont loin d'être tous mauvais. Si nous étions restés des « bêtes » (j'emploie ici sciemment un terme connoté) nous n'aurions jamais pu comprendre autant le monde dans lequel on vit. Il est toutefois ironique qu'avec autant de connaissance nous en sommes restés avec comparativement si peu de perspective sur l'univers. Et nous sommes tous coupables d'avoir attaché des oeillères sur nos têtes, quelle qu'en soi la raison.

Il faut choisir sa perspective sur le monde comme l'on choisi une fenêtre. Pour éviter qu'on étouffe, il faut pouvoir l'ouvrir.