10 décembre 2006

L'importance de la philosophie

Une enseignante de philosophie, Stéphanie Déziel, avec qui j'ai d'excellents contacts, m'a fait parvenir une réponse intéressante que j'aimerais exposer ici. Bonne et heureuse lecture !

« Allô cher camarade,

Quelle question intéressante; comment enseigner la philosophie? J’écoutais hier une émission à la radio de radio-canada nommée Pensée libre avec Serge Bouchard comme animateur. Le thème était profession philosophe. Mr. De Koninck et trois autres enseignants de philo ainsi qu’Alexis Martin discutaient de l’importance de l’enseignement de la philosophie. Tous s’entendaient pour dire qu’il est important de transmettre des contenus philosophiques aux étudiants du Cégep et de l’Université. Cependant, la philosophie est d’abord et avant tout une attitude devant l’existence humaine. Alors la question est intéressante, comment enseigner l’attitude philosophique? Cette attitude est tout d’abord celle de l’étonnement devant le monde, devant les opinions reçues, devant l’homme et devant l’existence elle-même. Elle permet de changer notre regard sur le monde. Il faut donc pour être philosophe s’habituer à s’étonner, à se questionner, à avoir un regard critique sur la réalité.

Comme tu la fais remarquer, la philosophie concerne des questions qui n’ont pas de réponse. Elle concerne les questions les plus brûlantes pour l’humanité comme le disait si bien Husserl dans son ouvrage « La crise des sciences européennes. » L’attitude philosophique est celle de chercher à approfondir toutes ces grandes questions qui traversent l’humain. Faire de la philosophie, comme le pensait Karl Jasper, c’est donc être en chemin. Je pense que cette attitude ne peut pas être enseignée comme nous enseignons des connaissances. Le rôle du prof de philosophie consiste avant tout à éveiller l’étudiant, à ouvrir son esprit, à l’habituer à la critique et à l’émerveillement devant la réalité. Il ne faut donc pas juste enseigner des contenus philosophiques, mais davantage créer le besoin de connaître les réponses aux grandes questions philosophiques. Il est évident que le prof de philo doit donc avoir une passion réelle pour le questionnement et qu’il doit créer le désir de connaître et de s’approcher de la vérité chez l’étudiant.

Il ne peut y avoir UNE méthode à mes yeux nous permettant de bien enseigner la philosophie. La lecture des textes, les exercices de compréhension, les schémas de concepts sont des outils pour aider à la compréhension, mais il faut que l’enseignant ait lui acquis l’attitude philosophique et qu’il croit à la nécessité d’éveiller les étudiants qui sont si souvent endormis en plein jour. Il doit être apte à créer l’étonnement chez les étudiants. C’est un gros contrat.
Notre société ne nécessite-t-elle pas des citoyens à l’esprit critique pour éviter le dépérissement de la démocratie et assurer la vitalité sociale? L’enseignement de la philosophie n’est-il pas un garde-fou devant ce dépérissement? La vie n’a-t-elle pas davantage de sens si nous utilisons cette merveille qu’est l’intelligence humaine pour chercher les fondements d’une société plus juste et harmonieuse? Je pense réellement que la philosophie joue ce rôle et qu’elle est donc une attitude et un savoir essentiels à l’humanité.

Je ne suis pas d’accord avec cette idée que les étudiants sont des animaux qui ont des besoins et que parmi leurs besoins immédiats il ne figure nulle part l’obligation de se poser des questions sur la vie. Je pense au contraire que les étudiants ressentent des angoisses existentielles et se posent les grandes questions qui concernent la philosophie. Ils ne sont pas habitués à les approfondir, mais je pense que bien présentées ces questions font écho dans leur esprit. Au café philosophique n’y avaient-ils pas 30 étudiants qui se sont déplacés et qui ont consacré 2 heures de leur temps pour discuter de la question de la violence? Pour justifier la philosophie il ne faut pas le faire oralement mais en acte. Il faut montrer aux jeunes la beauté et l’universalité des questionnements philosophiques qui se retrouvent autant dans les œuvres d’art, dans les films qu’ils visionnent, dans leur musique, dans les journaux… Partout la philo fleurit, il suffit de donner à voir le monde sur un autre angle en créant le désir de penser mieux, de penser la vie, de penser l’homme ses travers et ses merveilles. »


3 Commentaires:

Le mardi, 27 mars, 2007, Anonymous Anonyme a dit...

Bonjours Frank, la réponse ici présente est merveilleuse et franchement ma ouvert une autre porte de mon esprit, soit celle du désir de l'attitude philosophique, c'est-à-dire que la réponse que tu as inscrite m'a permis de mettre le doigt sur ce que je ne pouvais discerner. Je vois encore plus clairement où est l'importance de bien faire passer une pensé philosophique afin de créern l'état d'éveil philosophique.

Par contre je n'ai qu'une remarque à poser et c'est à l'extrait suivant "Il faut donc pour être philosophe s’habituer à s’étonner"
ne crois-tu pas que c'est contradictoire la présence de l'habitude et l'étonnement. Je sais que je joue sur les mots mais il serait bien que les chose soit vraiment exprimer correctement dans ce contexte vu les enjeux. Je n'ai pas encore de réponse mais à deux nous pourrons surement aboutir à un consensus.

 
Le mercredi, 28 mars, 2007, Blogger Un barbu a dit...

Merci de ton commentaire Nicolas! Je tiens, avant d'y répondre, à donner tout le crédit à Stéphanie Déziel, qui est l'auteure du texte qui t'as si bien inspiré, pour l'éveil suscité par son texte en réponse du miens.

Ta question m'apparaît être comme suit (du moins en partie) :
« Comment faire en sorte que nous puissions toujours conserver cet étonement admiratif, moteur de l'amour de la sagesse, et à la fois allier la vie concrète, faite largement d'habitudes qui nous aveuglent des beautés du monde et nous conditionnent à l'insensibilité? »

En guise de point de départ, cette question me fait penser à cette conférence auquel j'ai eu l'immense plaisir d'assister et qui faisait un intéressant survol des apports provenants des neurosciences par rapport à la conscience humaine (site web de l'auteur de la conférence : http://lecerveau.mcgill.ca/flash/index_d.html). Ce qui m'intéresse de cette conférence par rapport à la question, c'est comment on peut se représenter l'habitude dans le cerveau.


Admettons que, comme il est admis par plusieurs auteurs autant en Philo qu'en Psycho (dont Freud, Jung et Marcel Gauchet, à ce que je sache), il y ait le conscient et l'inconscient. Ce qui est conscient c'est, très résumé, ce dont nous pouvons nous saisir par la pensée à propos d'autant nous-mêmes que le monde. Pour l'inconscient, c'est un peu le contraire : il est inaccessible à la libre appréhension par la pensée. Plusieurs questions entourent le problème du conscient et de l'inconscient, mais celui qui m'intéresse c'est celui qui touche au rapport de communication entre les deux parties. Est-ce que l'inconscient est véritablement séparé du conscient? Est-il possible de dépasser l'hermétisme des deux? En quoi sommes nous libres de faire sortir (ou entrer) ce que nous voulons dans l'insconscient? Etc.

En quoi est-ce que la relation entre conscient et inconscient nous permet de mieux comprendre la relation entre étonement et habitude? C'est ce que je vais essayer d'expliquer.

Considérons l'habitude comme un automatisme : une habitude ne demande pas grand effort de conscience pour se produire en acte (marcher ou prendre un stylo ne demande pas grand effort mental) , ou même en pensée. Car certes nos habitudes sont de nature autant mentale que physique, rien qu'à penser à toutes nos conceptions préjugées, notre capacité à reconnaître les choses, bref à généraliser; mais ça ne s'arrète pas là (c'est plus mon imagination qui m'empêche d'étirer l'énumération). Ainsi, en tant qu'automatisme, une habitude échappe à nos processus mentaux habituels. Elle se situerait donc dans l'inconscient, tel qu'exposé plus haut, car il nous arrive d'agir par habitude sans que nous le voulions (mauvaises habitudes) ou encore de faire quelque chose sans que besoin soit que nous nous y concentrions (entrer une combinaison de cadenas à tâton sans que l'on soit capable de s'en rappeller mentalement; nos mains nous y guidant par habitude physique).

Qu'est-ce qui explique, d'un point de vue évolutif, l'apparition de nos habitudes? Pourquoi aurions nous besoin de faire des choses sans y penser? C'est, il est clair, le signe d'un avantage évolutif quelconque. Pris globalement, les automatismes nous rendent plus efficaces. Notre capacité de traiter de l'information étant limitée, il est impératif que nous maximisions l'usage de notre espace conscient, question de le libérer pour des tâches plus « inhabituelles ». Les habitudes sont plus efficaces que les actes songés, ils s'exécutent plus rapidement, car ils tirent leur puissance directement des diverses zones neuronales les concernant, et non de l'association générale des zones; véritable assemblée souveraine qui, au sein du cerveau, forme la matrice de la conscience. En bref, les habitudes nous sont utiles.

Quel est le rôle de la conscience éveillée dans ce cas? Postulons que nous soyons capables d'extraire -- à grand force de réflexion avec soi, les autres ou un psychothérapeute -- des bribes de notre inconscient. Que pourrions nous en faire? Les traiter en y songeant, en les transformant, en essayant d'améliorer l'automatisme pour que nous vivions, par exemple, plus heureux et serein. Mais que se passerait-t'il, si après avoir fait tout cela nous restions pris avec cela dans la tête pour toujours? Ça peut paraître simplet, mais ce que je veux dire ici c'est que pour quye nous soyons fonctionnels, la suite logique de nos réflexions consiste à en enterrer une partie dans l'inconscient (pas tout, pour que nous puissions y revenir plus tard si besoin en est), et ainsi recréer un automatisme plus efficace.

Toute cette expliquation consiste à dire que la réflexion fait passer de l'inconscience au conscient des habitudes, puis de les traiter, pour ensuite les réenfouir par la suite.


Maintenant, pour la suite il va me falloir faire référence à deux éléments qui ne sont, que par apparence, antinomiques (où autrement dit : contradictoires). Ce sont la raison et la sensibilité. Je vais, pour l'explication, associer la raison avec la conscience (même si la conscience peut être déraisonnée et l'inconscient produire des résultats conséquents en acte, c'est surtout pour l'explication que je fais l'association) et la sensibilité avec l'inconscient. J'utiliserai cette analogie de concepts pour représenter la relation entre indifférence et étonnement admiratif (qui ne sont pas exactement des opposés dans les termes, mais qui sont largement différents, en quoi que pourrais changer de mots et plutôt parler d'amour et d'indifférence -- en ce qu'on ne peut être passionné et indifférent à la fois pour une même chose, ou l'un de ses aspects, en tous cas il me semble).

Premièrement, considérons le soi comme étant opaque à lui-même et pourtant tourné vers lui-même dans une sorte d'étrange boucle. Cette opacité provient de l'inconscient, et la boucle provient de notre structure langagière subjective qui nous piège, en quelque sorte, dans nous-même, où disons le simplement, marque une limite à notre capacité de l'approche de l'autre. Dans cette étrange relation, nous sommes autant étanger à nous même qu'aux autres. Ce qui est intéressant, c'est que pour nous connaître nous même, comme je l'ai dit plus haut, il nous est possible de réfléchir ou d'entrer en contact avec l'autre. Ce contact est difficile car nous ne comprenons que ce qui viens de nous, et ce qui vient de nous, nous ne le comprenons que partiellement, étant nous tous aveugles en partie à notre soi pris dans son ensemble. Le travail de réflexion jette de la lumière sur cet ombre, cette opacité.

Bon, cela peut sembler complexe (ou si cela ne le semble pas de prime abord, c'est peut-être le signe qu'il faut relire), mais c'est primordial à la suite de l'explication, car ce que je vais essayer de démontrer c'est le lien entre l'autre et le soi, à travers la sensibilité comme faculté d'appréhension intuitive (donc inconsciente) d'un monde compris empiriquement (c'est-à-dire, à travers l'expérience des sens). L'étonnement admiratif sera la conséquence d'une saine pratique de cette faculté « sensible » (et je parle davantage des sentiments que des cinq sens ici).

Or donc, il y a la raison, la sensibilité, le soi, et l'autre. Ce seront nos outils pour la démonstration. Je crains que malgré mes précautions mes mots ne trahissent la signification de ce qui est, je ne le cache pas, l'une des questions qui me passionnent; celle de l'amour, de la sensibilité, de la relation.

Tout d'abord prennons le soi dans sa relation avec l'autre et établissons un double lien partant du soi vers l'autre dont chaque branche est raison et sentiment. Ces liens ne touchent jamais vraiment l'autre, ils ne font que l'effleurer en divers endroits, de sorte que, se continuant, ils reviennent, sans avoir touché à l'autre, vers le soi -- vers leur point de départ. Certaines aspérités de l'autre sont plus aptement accessibles à la raison, et d'autres à la sensibilité, à l'émotif, à l'affect.

La branche en boucle de la raison est moins douce et ne se rapproche de l'autre que pour en tirer ce qu'il y a de plus universel, de plus objectif. Cette branche, en un sens, fait de l'autre un objet porteur de sens et de réponses. Elle l'exploite de manière non-violente, car elle vise à extraire l'essence (même si l'essence n'est qu'une construction de l'esprit du soi), et elle fait abstraction du sujet en l'autre.

L'autre branche, celle de la sensibilité, est beaucoup plus douce et sensuelle. Elle touche de plus prèt l'autre, elle veut caresser sa texture, sentir sa chaleur et son poulx, atteindre l'intime. Ce qu'elle recherche, et peut-être est-ce illusion, c'est de former un lien tangible entre le soi et l'autre, de le comprendre dans sa subjectivité, malgré la distance infinitésimale et indépassable les séparant. Elle s'intéresse au sujet dans ce qu'il possède de particulier. C'est elle qui s'émeut, qui tombe en amour avec le monde, qui est foudroyés de sentir la douleur ou la mauvaise foi en l'autre. D'autant que cette branche essaie de toucher de prêt l'intime, d'autant qu'elle risque de s'érafler si le sujet opère une brusque mouvance, érisse ses piquants, agite ses défenses, rue fougueusement.

Pour qu'un bon contact se fasse, et c'est là où j'en suis rendu dans ma réflexion, il faut que d'unisson les deux branches ne formet q'un. Qu'il n'y ait plus de discorde entre elles. Elles partent toutes deux du même point, et bouclent vers le même soi (quoique en des parties différentes), mais permettent toutes deux de faire l'essentiel contact avec le monde, de sortir de l'égoisme solipsiste (sorte de microcosme intérieur) pour s'ouvrir à l'autre.

Et c'est là que je conclue : ce que la branche de la sensibilité doit apprendre à faire, et seule l'expérience et l'intuition le permet, c'est de savoir glisser sur l'autre sans se blesser soi. De demeurer sensible sans tomber avec l'autre dans l'épreuve. Alors seulement, lorsque cette sensibilité devient habitude, que l'on touche de près sans se blesser (et sans se « blazer »), que s'installe une harmonie avec l'autre, seulement à ce moment peut-on vivre pleinement cet amour de la sagesse qui est philosophie, cet amour de la vie qui nous rend heureux, cet amour de l'autre qui nous rempli d'allégresse.

Qu'une chose soit dite en fin de compte : qu'amitié et sagesse il y ait entre les humains et le monde, pour que cesse la solitude, et que persiste la vie.

 
Le jeudi, 12 avril, 2007, Anonymous Anonyme a dit...

Allo Frank et bien le bonjour à Nicolas,

Je trouve que c'est merveilleux de voir à quel point une simple question comme celle posée par Nicolas (comment lier habitude et étonnement) peut déboucher vers autant de réflexions. Les questions sont des portes ouvertes vers une meilleure connaissance de l'être humain et du monde. Peut-être ais-je en effet un peu mal choisi le terme habituer. Le quotidien est rempli justement d'habitudes, de préoccupation et ne laisse pas beaucoup de place à l’émerveillement et au questionnement. Les cours de philosophie sont donc des parenthèses dans cette routine étourdissante, des moments de recul face au monde, face à nous-mêmes. Je crois que le goût du questionnement se développe par la pratique. Les étudiants de mes cours participent présentement à des tables rondes qui traitent de la mort et de la technologie. Ils vivent donc une expérience de réflexion en commun, qu’ils ne vivraient peut-être pas sans les cours de philosophie. Ils peuvent grâce à ces tables rondes peut-être prendre goût au questionnement. C’est davantage le goût de la réflexion, du questionnement et l’émerveillement qu’il faut développer chez les étudiants qu’une habitude. Si le questionnement devient une habitude, il peut facilement devenir banal et être dépourvu de l’amour et du désir de la sagesse au coeur de la philo.

Je reviens donc à deux idées que Frank a mis en relief, la relation entre la rationalité et la sensibilité. Je pense justement que pour enseigner la philosophie, il faut trouver un juste milieu entre ces deux aspects fondamentaux de l’être humain. Oui, développer la capacité logique de l’étudiant, l’aider à bien définir les concepts, à porter un jugement valide, cohérent et pertinent, l’aider à bien raisonner, mais il ne faut pas éteindre le désir de connaître et de se questionner. Des cours de philo trop rationnels, abstraits qui ne donnent que des outils intellectuels aux étudiants passeraient à côté, je pense, de l’un but de l’enseignement de la philosophie qui est de faire naître l’amour de la vérité, du bien et de la beauté. Cet éveil passe par l’affectivité, le désir de connaître… Ouf, quelle tâche que celle d’enseigner la philosophie…

 

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