14 avril 2006

Les Inuits de Thulé et la présence militaire états-unienne

Il va de soi qu'un titre d'article préférant l'usage du terme « États-Unien » à celui d' « Américain » part du bon pied pour faire une critique du pays du hamburger. Pas que je sois sans originalité, mais c'est exactement le but visé.

Aujourd'hui, pendant que je me baladais, je me suis mis à penser à la lutte des peuplades autochtones et à l'enjeu de leur survie. Dans un monde moderne où le pragmatisme des états anglo-saxons se heurte à l'aveugle brutalité d'une économie de marché visant les masses sans discernement, il est difficile de croire que de tels groupes sociaux réduits à quelques milliers d'habitants, tout au plus, puissent réussir le tour de force de perpétuer à travers cet âge leurs cultures si riches en traditions. Cela m'a rappelé qu'il y a quelques années, pendant l'émission française Thalassa, passait un très intéressant reportage au sujet des habitants autochtones du Groenland (informations complémentaires ). J'ai voulu en savoir plus au sujet de l'histoire de ces gens, et plus particulièrement ceux qui avaient été déportés par l'armée états-unienne avec la construction de la base militaire de Thulé (site officiel) la plus au nord de l' US Air Force. À l'époque, le gouvernement danois avait permis à l'administration états-unienne de construire diverses bases militaires sur son territoire, tout cela bien sûr dans le cadre de l'effort pour contrer la menace soviétique en provenance du Nord. Des bases similaires ont été construites à plusieurs endroits dans le Nord du Canada et en l'Alaska, toutes ayant pour but de, soit-disant, protéger l'Amérique de la menace communiste :

Version originale : « The Air Force studied the possibility of establishing a major operating base in Greenland when it became clear that round trip flights of planes carrying atomic weapons between mainland United States or Canadian bases and Siberian/European objectives were impractical.  The shortest route from the United States to the Soviet Union's most important industrial areas was over the North Pole, and Thule is at the precise midpoint between Moscow and New York.  Thus, Thule became a strategic point in American military strategy. » - Thule Air Base - History (histoire complète )

Traduction : « L'Air Force étudia la possibilité d'établir une base d'opération majeure au Groenland au moment même où il était devenu évident qu'il était impraticable de faire par avion le trajet aller-retour qui visait à transporter des armes atomiques entre le continent nord-américain et les objectifs européens ou sibériens. Le plus court chemin entre les États-Unis et les centres industriels névralgiques de l'Union Soviétique était au dessus du Pôle Nord, et Thulé était situé au beau milieu de cette route, en plein entre Moscou et New York. Ainsi, Thulé devenu un point stratégique de la stratégie militaire Américaine. »

Mais voilà, en 1968 un bombardier B-52 transportant à son bord quatre bombes H de 1.1 mégatonnes chacune s'écrase en pleine mer à 11 kilomètres de la base. Les bombes n'explosèrent pas (heureusement) mais l'administration états-unienne décida de garder l'affaire secrète. L'immense projet de décontamination qui s'en suivi, impliquant militaires et civils autant danois qu'inuit, fut dénommé
« Project Crested Ice » :

« Les conditions de travail furent impossibles : obscurité totale jusqu'en février, glace et neige omniprésentes, rafales de vents jusqu'à 137 km/h, températures de -33 à -57°C, des équipements fonctionnant mal ou pas du tout par ces froids glaciaux, sans parler d'une intense pression de la hiérarchie pour terminer le travail avant la débâcle du printemps. » - Les accidents nucléaires militaires - Les bombes thermonucléaires perdues - Accident de Thulé de 1968 ( voir l'article au complet)

C'est dans ces conditions que travaillèrent 700 soldats américains et près de 800 Danois (autant autochtones que d'origine européennes). Parmi ces derniers, environ 500 développèrent diverses formes d'afflictions, allant de la stérilité jusqu'au cancer, qui lui fut contracté par 12 % des travailleurs.

C'est donc livré aux mains des américains par une administration danoise laxiste , dépossédé de ses terres ancestrales, empoisonné par des armes d'un autre temps et puis finalement menacé d'assimilation par la culture occidentale que l'on découvre ce peuple humble et pacifique qui pouvait, autrefois, vivre en harmonie avec son environnement. Je crois que ce n'est pas exagérer que de conclure qu'il est non seulement injuste qu'un peuple se prévale de son droit de se protéger et de se perpétuer en allant à l'encontre de la sécurité et de la pérennités d'un autre, mais qu'en plus il est ironique que ses tentatives d'empêcher le mal redouté se soldent par de si similaires catastrophes.